3 aout 2003. Je me souviendrais de ce jour jusqu’à la fin de ma vie et plus longtemps encore. Le pire jour de ma vie et pourtant, à l’âge de dix-huit ans, on ne peut pas dire que j’ai eu une longue vie. Je me souviens que ce jour avait plutôt bien commencé. Je m’étais réveillé de bonne humeur et j’avais envie de passer ma journée avec ma grande sœur. Nous avons toujours été très proches et j’ai toujours dit que mes meilleurs souvenirs étaient ceux que j’avais en commun avec ma grande sœur. Mon amour à moi. Et pourtant, c’est en me disputant avec ma sœur que le pire jour de ma vie a commencé. Elle faisait ses devoirs de vacances, comme papa le lui demandait tous les jours et en attendant qu’elle finisse son exercice de mathématiques, je m’amusais à jouer avec ses poupées. Oui, je l’avoue, je jouais aux poupées quand j’étais petit. Bref, il paraît que je faisais beaucoup de bruit et que ça déconcentrait Honor-Mary. « Touche pas à ça, Ben ! Putain, tu fais chier j’aimerais que tu sois jamais né, j’aurais été tranquille ! » Je relève la tête, étant choqué par les paroles de ma sœur. Nous nous disputions très souvent et les mots volaient tout le temps plus haut que les autres. Nous n’étions pas très tendres l’un avec l’autre, en somme. Pourtant, cette fois-ci, j’ai été vraiment vexé, voire blessé, par ses paroles. En fait, je n’avais pas l’impression d’avoir fait quelque chose de mal. « Le jour où je disparaîtrais réellement, tu viendras pas pleurer sale conne ! » Et je sortis en trombe de la chambre de ma sœur, les yeux remplis de larmes. Ouais, en plus de jouer aux poupées, j’étais très sensible. J’attrape mon vélo et je roule vite, sans faire attention aux alentours, voulant me rendre chez Antony, mon meilleur ami. A cette époque-là, il était le seul à ne pas rire lorsque je pleurais. J’avais dix ans et tous les petits mecs se prenaient pour des durs et s’amusaient à se moquer de moi, parce que je pleurais « comme une fille ». Bref, tout ça pour dire que c’est en pleurant sur ma pauvre bicyclette que je me rendis chez Antony. Seulement, je ne suis jamais arrivé chez Antony, ou en tout cas, pas tout de suite. En effet, mon vélo a rencontré la route d’une voiture. Moi aussi d’ailleurs, j’ai rencontré cette voiture. Je l’aurais certainement trouvé jolie si je n’étais pas resté dans le coma pendant deux semaines. Salopard de chauffeur qui téléphone en conduisant. Ce jour-là restera à jamais gravé dans ma mémoire mais pas seulement parce qu’on m’a déclaré entre la vie et la mort. Non, ce jour-là restera à jamais gravé dans ma mémoire parce que j’ai failli ne plus jamais revoir ma grande sœur sans lui avoir dit que je l’aimais avant. Le pire jour de ma vie, c’est bien ce que je disais.

« Pourquoi tu viens pas à l’école avec nous ? » Je haussais les épaules. Je ne m’étais jamais posé cette question, à vrai dire. Pour moi, c’était normal de ne pas aller à l’école avec mes copains que j’avais rencontré au parc. En parlant de parc, nous étions justement en train de jouer au ballon et je n’avais pas envie de parler de l’école. Parce qu’au fond, que ce soit à la maison ou dans un établissement public ou privé, l’école c’est nul. « Je sais pas. C’est mes parents qui décident. Bon, on joue ou vous avez peur que je gagne ? » Maintenant que j’y pense, l’école à la maison ce n’était pas si mal. Maintenant que je suis au lycée, je me rends compte à quel point les profs sont chiants. Au moins, quand j’étais chez moi, je n’avais pas d’heures de colle.

« Hey mec, t’as vu la nouvelle ? Elle est pas mal, hein. » Je regardais dans la même direction qu’Antony, mon meilleur ami et je vis que la nouvelle était ma voisine. Ma sublime nouvelle voisine qui m’avait fait perdre tous mes moyens. « C’est ma voisine. » Il me regardait, les yeux ronds. Je lui avais déjà parlé d’elle et il ne m’avait pas cru quand je lui avais dit qu’elle était vraiment très belle. Maintenant, il y était obligé. « C’EST PAS VRAI ? Ta voisine ?! Merde, j’ai pas le droit à une option sur elle, alors ? » Je lui lançais un regard sévère. « N’y pense même pas. » Il se mit à rire à gorge déployée, tel un chimpanzé en rut. « Mais elle s’en fou de toi. Elle t’appelle Benjamin. NON MAIS BENJAMIN, QUOI ! » Je m’apprêtais à lui répondre quand, Jasmine, justement, passa devant moi avec ses toutes nouvelles copines. Elle s’arrêta à notre hauteur et me lança un petit sourire avant de me parler. « Salut Benjamin ! » Et elle reparti avant même que je puisse lui répondre. Et quand je pense que mon abruti de meilleur ami est juste à côté de moi en train de se foutre complètement de ma gueule. J’ai dû me ridiculiser devant la plus belle des nanas. « J’te déteste, Antony. »